Législation et gouvernance : des avancées notables mais perfectibles

La réponse post-séisme au Maroc s’est traduite par une série de mesures législatives visant à structurer et à financer le programme de reconstruction. Ces textes, bien que pragmatiques et adoptés rapidement, révèlent certaines lacunes en termes de stratégie globale et de coordination institutionnelle.

Des instruments législatifs en attente d’une exécution efficace

En réponse à l’urgence de la situation, le gouvernement a produit cinq textes législatifs entre septembre 2023 et novembre 2023. Voici les principales réalisations :

11 septembre 2023 : Adoption du décret n° 2-23-811 créant un compte d’affectation spéciale intitulé « Fonds spécial pour la gestion des effets du tremblement de terre ayant touché le Royaume du Maroc ».

4 octobre 2023 : Adoption du décret-loi instituant l’Agence de Développement du Haut Atlas (ADHA) et de son décret d’application, officialisé le 5 octobre 2023.

13 octobre 2023 : Publication de l’arrêté n° 3-58-23 déclarant le tremblement de terre comme un événement catastrophique, activant le Fonds de Solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC).

2 novembre 2023 : Adoption par le Parlement d’un projet de loi conférant le statut de pupilles de la Nation aux enfants victimes du séisme.

20 novembre 2023 : Adoption par les deux chambres du Parlement du projet de loi 57.23, validant la création de l’ADHA.

À cela s’ajoute la LF 2024 qui comportait des mesures budgétaires pour le financement du programme de reconstruction.

Ces textes ont permis de structurer la réponse légale et financière. Cependant, aucun lien explicite n’a été établi avec la Stratégie nationale de gestion des risques des catastrophes naturelles (2020-2030), un cadre pourtant pertinent pour renforcer la résilience et la durabilité des mesures.

La production législative a certes permis de poser les bases institutionnelles, mais l’exécution s’est heurtée à des défis majeurs. L’ADHA, entité clé du dispositif, a vu la nomination de son directeur général reportée à octobre 2024, soit plus d’un an après le séisme, retardant ainsi la mise en œuvre des projets.

Lancement de l’ : un programme sans pilote

L’ADHA devait incarner le pilier de la gouvernance du programme de reconstruction. Ses missions, définies dans le décret-loi, incluent :

  • La réalisation des projets de reconstruction et de réhabilitation dans les zones sinistrées.
  • Le développement socio-économique des zones ciblées.
  • Le suivi et l’évaluation du programme à l’aide d’indicateurs de performance.

Cette gouvernance repose sur un contrat-programme de 5 ans, établissant les objectifs, les modalités de financement et le calendrier des interventions. Le Conseil des ministres du 19 octobre 2023 avait confirmé cette approche intégrée.

Retards institutionnels et manques de coordination

Malgré son rôle central, l’ADHA n’a été pleinement opérationnelle qu’en octobre 2024, avec la nomination de M. Said Laith à sa tête. Durant cette période, plusieurs départements ministériels ont opéré de manière autonome, créant des chevauchements et des incohérences dans les interventions.

Le retard dans l’établissement d’une structure de pilotage a également laissé des zones d’ombre sur des questions cruciales, telles que l’utilisation des fonds alloués par des ministères comme celui de l’Éducation nationale, qui avait annoncé en octobre 2023 un budget de 4 milliards de dirhams pour reconstruire les écoles.

Transparency Maroc (TM) a exprimé des réserves quant au mode de fonctionnement de l’ADHA, demandant une soumission stricte au contrôle financier de l’État et au Parlement, conformément aux principes constitutionnels de responsabilité et de reddition des comptes.

Commission interministérielle : un pilotage transitoire mais insuffisant

La Commission interministérielle, créée deux jours après le séisme, a regroupé huit départements ministériels et la direction centrale de l’INDH. Cette instance a assumé un rôle de coordination temporaire en l’absence d’un cadre de gouvernance définitif.

Entre septembre 2023 et octobre 2024, la commission a tenu 12 réunions à Rabat, mais le rythme de ces rencontres s’est progressivement espacé, atteignant des intervalles de trois mois. Ce ralentissement pourrait refléter une attente de résultats concrets avant de poursuivre les discussions.

Malgré son rôle central, peu d’informations ont été communiquées sur les travaux et décisions de la commission. Cette opacité rend difficile l’évaluation de son efficacité. En l’absence d’une structure pérenne comme l’ADHA, la commission a opéré dans un cadre improvisé, limitant son impact sur le terrain.

Gouvernance locale : rôle prédominant de l’autorité locale

La gouvernance locale s’est appuyée sur des commissions provinciales et locales de reconstruction, avec une forte représentation de l’autorité locale et des forces de sécurité. Cependant, leur composition, leur mode de fonctionnement et leurs décisions n’ont pas été communiqués au public.

Lors de focus groups organisés par l’Observatoire, des habitants ont souligné un manque de clarté et de coordination entre les différents acteurs impliqués, ainsi qu’une instrumentalisation politique du processus de reconstruction.

Les commissions locales ont joué un rôle central dans le recensement des sinistrés et l’évaluation des dégâts, mais sans mécanismes de recours clairs pour contester leurs décisions. L’absence de représentants de la société civile dans ces instances a également été critiquée.

« Dans la pratique, la visite de la Commission se limitait à une ou deux personnes. Les visites aux douars sont faites de manière expéditive. La représentation des architectes ou bureaux d’études s’est limitée à des « stagiaires » ou « débutants » ». Acteur associatif de la province d’Al Haouz.

Sur le plan législatif, le gouvernement a fait preuve de réactivité. Par contre, l’architecture institutionnelle promise, est restée amputée de l’Agence de développement du Haut-atlas (ADHA). La Stratégie nationale de gestion des risques des catastrophes naturelles et ses instruments de financement n’ont pas été visible sur le terrain. L’Exécutif a pallié à cette absence par une démarche interministérielle et une forte présence de l’autorité locale sur les plans régionaux et locaux. La gouvernance sur l’échelon local a été dominée par le rôle des agents de l’autorité locale qui ont eu un rôle prédominant sur l’aspect le plus sensible du programme : l’accès aux aides à la reconstruction des logements.

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